15 février 2013

Un an plus tard

Il y a un an, Gilly s'arrêtait d'abord à
 Newark pour une escale
Voilà! Tout un calendrier. Une sorte d'anniversaire. Un dernier retour nostalgique sur une année qui ferme sa boucle sans que je la boucle pour autant à propos des voyages.

Il y a un an aujourd'hui, avec un baluchon un peu lourd de toute l'incertitude de celui qui se lance dans le vide, avec l'inquiétude d'avoir laissé à la maison un bidule essentiel à ma survie sur la route, avec un gros rhume, aussi, il faut se le dire, et la fatigue d'un monde et demi sur les épaules, je verrouillais la porte de l'appartement pour partir à la conquête du monde. Je laissais indubitablement ma vie d'avant derrière. Je décrochais en me disant peut-être au fond que je ne raccrocherais jamais tout à fait.

Il y a un an, pas assez naïf pour ignorer que les 183 jours qui se précipitaient à vitesse grand V vers moi me réservaient tellement de surprises, j'ai fixé cet avenir droit dans les yeux en me résignant à lui faire confiance. Il y a un an, je changeais de vie.

Aujourd'hui, c'est un autre anniversaire. Six mois! Il y a six mois, mon cerveau décrochait. Reprenait ses habitudes cartésiennes pour ne pas s'atrophier d'un coup en se compressant dans le moule de la routine. Il savait qu'il faisait semblant, mais choisissait de s'ignorer.



Il y a six mois, ce destin que je regardais droit dans les yeux m'a frappé en pleine gueule pour m'indiquer que j'étais revenu. Il m'a un peu fait mal, aussi, pour me rappeler que j'étais vivant malgré tout.

On dit parfois qu'il faut allouer la durée du voyage pour se remettre complètement de sa dernière aventure. Six mois après un tour du monde en six mois, je devrais être remis. Guéri. Peut-être! M'enfin! Mieux, en tout cas.

Un an plus tard, tous ces cheveux blancs en plus, j'ai l'impression d'avoir pris dix ans d'un coup. Aussi vite que j'ai repris, en partie, le poids que j'avais perdu en chemin. Tout le monde n'aime pas voyager. Pourtant, tout le monde gagnerait à s'exiler un temps.

Non, il n'y a pas de bonheur éternel. Surtout pas quand on voyage, détrompez-vous. On se perd, on se les casse avec tous ces arnaqueurs, on a mal au ventre, on tombe malade, souvent on ne comprend rien, parfois on saute un repas ou on mange très mal. Mais on apprécie quand même. Parce que!

J'ai fini par tourner la page, en partie. Par revenir « complètement ». Mais je ne regrette rien. Ni les bons moments. Ni les amis à qui je parle encore quotidiennement. Ni les douleurs. Ni les remises en question. J'ai avancé de dizaines de milliers de kilomètres autant sur papier que dans la vie de tous les jours. Je me suis senti vivant plus que jamais. J'ai ressenti quelque chose, point!

Je continue de croire en cette résilience qui n'a rien à voir avec le poids des années. Qui ne s'installe pas par dépit, mais parce qu'on sait qu'il y a mieux.

Les douleurs! Oui. Il y a ces douleurs physiques que le corps oublie. Qui surgissent et qu'on envoie paître tout en payant le prix. Il y a celles plus sournoises qu'on a à l'âme. Lancinantes et sournoises, qui enveloppent et qui prennent à la base du crâne. Elles étreignent et se bercent d'une intensité douce mais tellement criarde. Elles rendent fou un brin, exaspèrent et ne se guérissent pas. Au retour surtout. Mais elles se lassent de torturer, se lassent de l'emporter à tout coup sur les douleurs physiques que le corps oublie. Elles s'évanouissent en promettant de ne pas trop s'éloigner, au cas où on oublierait d'oublier.

Oui, revenir, c'est long. Oui, il faut traverser un désert émotif. Mais on se sent vivant.

Il y a un an, je prenais la meilleure décision qui soit. Je dialogue encore avec le moi d'il y a un an pour retrouver cette capacité de choisir dans mon quotidien que j'essaie encore de changer. Je m'efforce de ne pas oublier, de bâtir, de croire comme au jour du retour que tous les rêves sont réalisables.

Persiste cette impression que personne ne comprendra vraiment. Pas par snobisme. Juste parce que personne n'était là, avec moi, à temps plein. Deal with it. Persistent les regards jaloux, les commentaires mesquins, les soupirs des autres devant de nouveaux projets de voyage.

Je l'ai écrit au retour, dans une chronique qui ravive encore tout le poids de l'atterrissage : je finirai par disparaître. Demain, dans une semaine, un mois, un an... Parce qu'il y a tout un monde, là dehors, qu'il reste à explorer. Et je ne le laisserai pas me glisser entre les doigts.

On me dit d'en laisser pour les autres. De passer mon tour. Ou on s'exclame : Encore un voyage!

Deal with it! Ma vie, c'est moi qui la vis. Point. Pas question de compromis.

Ça sert à ça, aussi, revenir. Savoir s'entourer mieux.

Maintenant que j'ai appris à sourire plus, et à faire semblant aussi des fois, je sais que la peur, l'âge, l'argent, la famille ne seront jamais de bonnes raisons de ne pas partir. On peut s'envoler. Il y a des avions qui quittent chaque jour pour les quatre coins du monde. Partir. Vivre avec les conséquences après. Mais les conséquences, au fond, ne sont que positives. Une vie transformée. Parce qu'on retombe toujours sur nos pattes, qu'il faille une semaine ou six mois pour y parvenir.

Il y a des avions qui quittent chaque jour pour les quatre coins du monde. Et j'ai l'intention de décoller encore et encore.

Pour ceux qui se posent la question, le karma me joue toujours des tours. Je l'emmerde autant que je l'étreins quand il me rend service. Mais il m'a appris à sourire devant les petites malchances de la vie. On peut dire qu'il m'a eu à l'usure.

Et non, TAP Airlines n'a jamais répondu à ma lettre de plainte. Pas plus qu'à mes deux ou trois courriels, envoyés à des adresses différentes, pour exiger un suivi. Eh ben, on dirait qu'il me restait un peu de fiel à déverser sur leur cas.

Toujours est-il qu'il me reste bien des albums de photo à confectionner, bien des histoires à raconter également sur ces 20 pays qui m'ont accueilli en si peu de temps. Peut-être qu'il est faux, au fond, de dire que le bonheur ne s'achète pas...

1 commentaire:

  1. Toujours aussi passionnant de te lire! La boule que j'ai au ventre en pensant à mon propre départ, tu la traduit trop bien! Et si mon karma, c'était toi!? LOL! Bon retour sur Terre... Ah! Et puis non! Bon voyage sur Terre, Jonathan!

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