Pendant toute mon aventure, j'ai publié un carnet de voyage aux deux semaines dans le quotidien La Tribune. Voici la reproduction du bilan qui y a été imprimé le 18 août dernier.
Source : CUSTEAU, Jonathan. « Le repos du nomade », La Tribune, samedi 18 août 2012, p. 10.
Le repos du nomade
Source : CUSTEAU, Jonathan. « Le repos du nomade », La Tribune, samedi 18 août 2012, p. 10.
Le repos du nomade
Permettez-moi
d’avoir la gorge nouée. Permettez-moi d’avoir la tête qui tourne, saoulé de ces
six mois écoulés. En passant la porte de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau,
mercredi, le livre s’est refermé dans un fracas assourdissant. J’ai fermé la
boucle, mis fin à six mois de vagabondage autour du monde. J’ai rangé les
voiles. Je suis rentré. Et je refuse toujours d’entendre l’alarme du quotidien
qui reprend ses droits.
Après six mois à
voguer de découverte en découverte, j’essaie encore de me poser. Ce qu’elle me
manquera cette liberté de me lever chaque matin dans un pays différent. Dans un
pays que j’aurai choisi.
Je
m’ennuierai de ces amis du moment rencontrés à tout hasard, ces citoyens du
monde qui carburent à la même essence que moi, qui comprennent sans poser de
questions. Je m’ennuierai de l’enivrement de me prétendre Chinois, Grec ou
Portugais, agissant comme si manger au café du coin, prendre le métro, étaient
affaires de routine.
Je
m’ennuierai de cet instant magique où on cesse d’être touriste pour naviguer à
son aise, capable de retrouver son chemin dans ces villes que l’on fait nôtres.
On
m’avait dit que je ne reviendrais probablement pas intact. Que je deviendrais
meilleur. Est-ce qu’on devient meilleur en prenant le large pendant six mois?
On gagne en maturité, en sagesse, en folie peut-être. Mais est-ce que ça fait
de nous quelqu’un de meilleur?
Six
mois autour du monde, c’est bien loin d’être un trip de hippie pour fumer de l’herbe et se faire pousser des
tresses.
Six
mois à voyager, c’est essayer de saisir l’insaisissable un peu plus chaque
jour. C’est arrêter le temps dans chaque seconde qui nous coule toujours aussi
vite entre les doigts. C’est s’imprégner d’images qu’on doit laisser aller en
sachant qu’on risque tôt ou tard de les oublier.
C’est
accepter de mourir un peu chaque jour avec ces instants qui ne reviendront pas,
qu’on ne pourra jamais décrire ou expliquer à la hauteur des émotions qu’ils
nous ont fait vivre. Le paradoxe, c’est bien de cumuler tellement de moments
inoubliables qu’on finira certainement par en laisser s’effacer. Et on se
déteste un peu pour ça.
J’ai
souri comme un idiot dans un tuk-tuk au Cambodge, par pure satisfaction du
moment présent; j’ai ouvert les yeux grands comme ça en apercevant les côtes de
l’Australie; j’ai trouvé une paix insoupçonnée dans le désert de Wadi Rum en
Jordanie. Mais plus que tout, je retiendrai chacune des rencontres qui
définissent désormais les pays visités.
Dans
tous ces visages, j’ai vu le monde! Bien plus que dans des lopins de terre et
des ruines toutes plus anciennes les unes que les autres. Je me suis fait des
amis pour la vie!
Il
y a d’ailleurs de ces moments où on a envie de tout arrêter, de serrer ces gens
tellement fort pour ne pas les laisser partir. Parce qu’ils nous ont fait
sentir chez nous dans cet autre ailleurs, parce qu’on bâtirait une maison juste
là, en emprisonnant chaque jour dans une grande bouteille ce bonheur
instantané.
J’ai
retiré bien plus de chaque mot échangé avec un ami étranger que de chaque
kilomètre parcouru entre ici et là-bas. Ces amis vous font sourire, vous
arrachent une larme au moment de dire adieu, vous font réfléchir plus que la
sagesse acquise avec le temps qui, au bout du compte, ne fait que passer. Je
m’ennuierai de tous ces gens pour qui, en si peu de temps, je suis devenu
quelqu’un.
Ces
six mois ont été remplis de petits bonheurs innocents, d’éclats de rire
spontanés qui permettent de puiser dans l’enfant en soi pour explorer,
expérimenter, prendre des risques,
cesser de se poser des questions et faire fi des conséquences…
Parce
que plus on apprend, plus on comprend qu’on ne sait rien. Plus on voyage, plus
on comprend qu’on n’a rien vu. Et pourtant, pourtant, après 20 pays, 72 villes,
28 avions, 58 auberges de jeunesse et plus de 16 000 photos, on pourrait
souhaiter une illumination ou deux. Rien! Rien que le sentiment de vouloir en
voir encore plus!
Je
pourrais donc disparaître à nouveau dans une semaine, un mois, un an. Difficile
de rester en place quand il y a tout un monde, là dehors, qu’il reste encore à
explorer. J’ai aussi envie de réaliser tant d’autres rêves, de voguer sur cette
erre d’aller.
Six
mois autour du monde, c’est aussi une leçon de lâcher prise. Lâcher prise sur
ce qu’on ne peut contrôler, oui, mais aussi accepter de vivre en sachant qu’on
abandonnera chaque petit bonheur continuellement. On s’arrachera à ces endroits
qu’on aime, à ces gens qu’on voudrait côtoyer un peu plus longtemps. Il faut
l’accepter, c’est tout.
Six
mois autour du monde, c’est vivre coûte que coûte. Vivre plutôt que survivre.
Parce que cette vie-là, elle n’a pas de prix.
Permettez-moi
donc d’avoir la gorge nouée au moment de conclure ce voyage d’une vie.
Permettez-moi d’avoir la gorge nouée au moment d’écrire ces dernières lignes
qui tournent définitivement une page que je me refuse encore à tourner. Et
pardonnez-moi s’il m’arrive d’avoir encore la tête dans un autre fuseau
horaire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire