Le soir de ma seule journée complète à Varanasi, j’ai fait
ce que tout bon touriste doit faire : louer un bateau pendant une heure,
vers le coucher du soleil, pour aller sur le Gange.
Un bateau à rames (avec rameur inclus) devrait coûter
environ 100 roupies. J’ai accepté 200 roupies sans rechigner. Toutefois, le
coucher du soleil n’a rien eu de merveilleux, le brouillard couvrant la ville
jusqu’à ce que la pluie décide de tomber. Et ça n’avance pas vite à la rame. À
l’hôtel, on me proposait un bateau à moteur pour 600 roupies.
Mon chauffeur était prénommé Raj. Il parlait un anglais
approximatif. Il était du type un peu
ronchonneur, mais avec un bon cœur. J’ai retenu ses services pour une heure. Il
a fallu cinq minutes pour qu’il scande des « God, help me ».
Il était minuscule. Plus petit, plus menu que moi. Il ramait
le plus fort qu’il pouvait, mais nous ne bougions pas beaucoup.
Après un temps, il me demande si je suis riche. Gne! Comme
si quelqu’un allait répondre oui à cette question-là. Il m’a demandé pourquoi
je n’étais pas riche. Et il m’a fait la leçon le Raj. « Tu crois que la
richesse vient de l’argent? Moi je ne suis jamais allé à l’école. Je parle
hindi, anglais, japonais, coréen et espagnol. Si j’étais allé à l’école, je n’aurais
jamais rencontré les touristes qui m’ont appris ces langues. »
Raj racontait qu’il dormait dans sa barque. Qu’il faisait en
moyenne 70 roupies par jour, parce que celui qu’il appelle son « propriétaire »
garde la majorité de l’argent qu’il fait à conduire les barques. Il dit qu’il
demande souvent à Dieu de prendre sa vie…
Et pendant qu’il me raconte tout ça, que la pluie tombe et
qu’il pagaie à contre-courant, le cadavre d’un bébé flotte à la surface du
Gange et est entraîné le long de notre embarcation par le fleuve qui va son
chemin.
L’Inde est un pays qui développe la paranoïa. Il y a toutes
les chances que Raj répète la même histoire à tous les touristes pour les
attendrir. Mais le contexte fait quand
même réfléchir.
Après ma promenade en bateau, j’ai assisté à une cérémonie
en l’honneur de Brahma, sur les rives du Gange. À la fin, ceux qui le veulent
peuvent allumer un lampion et le déposer sur le fleuve, une offrande qu’ils
laissent flotter à la dérive.
C’est là que la paranoïa embarque à nouveau, quand on
s’approche pour faire une photo et que notre voisin décide de se laver le
visage en s’éclaboussant de l’eau du fleuve. Recevoir une goutte sur la bouche,
c’est ignorer toute la toxicité du Purrell et espérer avoir choisi le moindre
des maux.
Les occasions d’escroquer les touristes sont à nouveau
nombreuses, soit par ceux qui vous feront un point rouge dans le front pour la
chance, en échange d’un don (je leur ai dit que je n’avais pas d’argent sur
moi) ou ceux qui vous offriront un massage tout en vous tâtant les bras. Il ne
faut pas les laisser faire. Ils demanderont des sous. Et qui saura résister
vraiment une fois le massage bien amorcé?
La soirée s’est terminée par des restaurateurs qui avaient
bien hâte que moi et un Français décampions, pour fermer leur établissement, et
par une panne électrique qui a commencé dès qu’une averse s’est déclarée. Retrouver
mon chemin dans les ruelles sombres, sous la pluie, était encore moins
rassurant que la veille.
On oublie la douche chaude, la recharge pour le cellulaire
ou l’ordinateur, mais au moins, la génératrice nous fournit lumière et… wi-fi.
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